• Barque échouée

    Barque échouée au bord des rivages bretons,

    J'ai désappris l'essor de mes jeunes sillages

    Et laissé, sur mes flancs, se nouer en festons

    Vos scalps souillés d'écume, ô goémons des plages.

     

    Il ne m'importe plus si d'autres les refont,

    Mes croisières d'antan, mes belles odyssées ;

    Promise au lent trépas des carènes blessées,

    J'abandonne le large à celles qui s'en vont.

     

    Ni l'aile des courlis que le matin soulève,

    Ni l'émoi de la mer sous un vierge soleil

    Ne peuvent, dans mon être à la tombe pareil,

    Faire sourdre un regret ou tressaillir un rêve.

     

    Je vois partir mes sœurs à la pointe du jour,

    Je les vois revenir aux premières étoiles,

    Sans envier le chant qui gonflent dans leurs voiles

    La fièvre du départ et l’orgueil du retour.

    Anatole le Braz


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  • Dimanche de juin

    Nul ne sait s'amuser que les petites gens,

    Dont le repos plus rare a la gaîté plus franche.

    Je m'en vais aujourd'hui - c'est l'été, c'est dimanche ! -

    Laisser mes prétendus plaisirs intelligents.

     

    Ma mignonne, les nids vibrent de joyeux chants ;

    Dans le ciel enivré la lumière s'épanche.

    Je veux, par les blés verts, suivre ta robe blanche,

    Et cueillir avec toi de gros bouquets des champs.

     

    Car toi, tu sors du peuple, et jadis, pauvre fille,

    Cachant sous tes gants frais des piqûres d'aiguille,

    Tu connus la valeur des dimanches d'été.

     

    A toi seule je dois quelques heures fleuries.

    En route, et plantons là mes vaines rêveries.

    Le bon soleil et toi, voilà la vérité !

    François Coppée


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  • La boite aux lettres

    Jamais le facteur ne s'arrête

    - sauf quelquefois pour le journal -

    A la hauteur de ce portail

    Où s'accroche une boite aux lettres.

     

    Or, ce matin - un samedi -

    La boite aux lettres s'ouvre sur un nid,

    Sur le bec jaune des petits,

    Sur l'entonnoir de leur gosier ;

     

    Deux mésanges viennent d'écrire

    Et c'est sur la pointe du pied

    Que le vieux couple pourra lire

    Les sept lettres de son courrier.

    Pierre Menenteau


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  • La Tourterelle d'Amymone

    Amymone en ses bras a pris sa tourterelle,

    Et, la serrant toujours plus doucement contre elle,

    Se plaît à voir l'oiseau, docile à son désir,

    Entre ses jeunes seins roucouler de plaisir.

    Même elle veut encor que son bec moins farouche

    Cueille les grains posés sur le bord de sa bouche,

    Puis, inclinant la joue au plumage neigeux,

    Et, toujours plus câline et plus tendre en ses jeux,

    Elle caresse au long des plumes son visage,

    Et sourit, en frôlant son épaule au passage,

    De sentir, rougissant chaque fois d'y penser,

    Son épaule plus douce encore à caresser.

    Albert Samain


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  • Consolation

    Pourquoi pleurer lorsque la rose,

    Penchant son calice embaumé,

    Meurt, fraîche encore, et se repose

    Sur le front qu'elle a parfumé ?

    Pourquoi pleurer quand, de la terre,

    Une âme blanche, un esprit pur

    Secoue, en partant, sa poussière

    Pour monter ver le ciel d'azur !

     

    Il faut des roses qui couronnent,

    Il faut des parfums pour le ciel ;

    Il faut des âmes qui rayonnent

    Près du trône de l'Éternel :

    Dieu, qui sème dans cette vie

    Les âmes ainsi que les fleurs,

    Choisit la rose épanouie

    Et l'âme aux suaves blancheurs.

     

    - Et, le soir, lorsque tout repose,

    Un ange vient, silencieux :

    - Au jour, on cherche en vain la rose,

    Et l'âme plane dans les cieux.

    Napoléon Legendre


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